Page:Uzanne - Contes pour les bibliophiles, 1895.djvu/71

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette grande vérité : l’art du Japon, celui des peintres surtout, — et vous allez comprendre tout à l’heure comment, — descend en droite ligne de votre art français du moyen âge ; c’est un rameau transplanté sur un sol lointain, très différent du sol natal, un rameau égaré qui a poussé superbement et qui, nourri de façon différente, a produit des fruits différents, mais aussi magnifiques, aussi savoureux que ceux de l’arbre paternel lui-même ! Vous pensiez qu’entre l’Europe du moyen âge et l’Empire du soleil levant, séparés par tant de terres et d’eaux, nulle relation n’avait été possible ? Erreur ! La vieille Europe a connu le Japon, vaguement c’est vrai, mais elle l’a connu, et, même avant l’arrivée des aventuriers portugais du xvie siècle, le Japon a connu l’Europe. On oublie trop la grande ambassade japonaise qui visita Lisbonne, Madrid et Rome en 1584 et que les troubles de la Ligue empêchèrent de venir à Paris. Est-ce que le Japon aurait songé à envoyer une ambassade en Europe si le monde occidental ne lui avait pas été déjà révélé ? Le spectacle peu édifiant et peu rassurant offert par l’Europe à cette époque arrêta les sympathies, et le Japon éleva contre nous et nos idées la barrière qui le protégea jusqu’en 1868 et qu’il se repentira sans doute d’avoir imprudemment supprimée juste au moment où l’Europe présente un spectacle encore moins édifiant et moins rassurant que du temps de Philippe II… Mais pas de politique ! Donc, premier point, des relations peu suivies, et tout accidentelles, il est vrai, ont existé entre l’ancienne Europe et le Japon. Deuxième point, des Européens ont porté l’art européen, — français, comme vous le verrez tout a l’heure, — aux Japonais du xve siècle. Ce deuxième point sera établi par moi aussi indiscutablement que le premier. Pour le moment, je m’appuierai seulement, pour arriver à glisser un commencement de persuasion dans votre esprit, sur les analogies évidentes qui existent entre les œuvres d’art des deux pays…

— Oh ! oh !

— Attendez, particulièrement dans la peinture et le dessin. Pour les autres arts, les liens de parenté sont moindres pour des raisons que vous comprendrez tout à l’heure, et s’ils n’en existent pas moins, plus vagues et plus faibles, je ne puis cependant vous les faire toucher du doigt : on ne peut importer en Europe les grands temples accrochés au flanc des montagnes sous les cèdres centenaires… La sculpture et l’architecture obéissent là-bas à d’autres lois et répondent à d’autres idées que chez nous, et pourtant il y a tels détails d’architecture, tel encorbellement, tel linteau, tel arbalétrier ou poinçon, telles moulures et tels chanfreins de poutres qui rappellent les membrures ou les dispositions décoratives de nos grandes salles ogivales… Ces analogies, noyées sous une fantastique efforescence de détails purement japonais, n’apparaissent qu’aux yeux chercheurs et fouilleurs. Pour le dessin et la peinture, on peut rapprocher plus facilement les points de comparaison. Allez voir au musée