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Page:Uzanne - Contes pour les bibliophiles, 1895.djvu/79

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et voici, pour en attester l’authenticité, le seing d’Enguerrand de Coucy que nous avons pu comparer aux mêmes seings apposés au bas de chartes conservées à Laon et à Paris… Le sceau lui-même est resté dans notre famille et je puis vous le montrer…

— Jetez un coup d’œil sur ces parchemins, reprit Larribe, vous déchiffrerez à votre aise tout à Theure ; voyez seulement le début :

« Moi, Estienne Le Blanc, clerc du diocèse de Laon, notaire et chapelain du haut et puissant seigneur Enguerrand, sire de Coucy en France au delà des mers et de Fioko en Nippon, vouant humblement mon âme à madame la Vierge et à tous les saints pour me soutenir en pays infidèles, j’ai sur le commandement de Monseigneur escript ce qui cy-après vient pour ce que n’en ignore la descendance que Dieu voulut bien accorder audict sire Enguerrand au loing de terres et châteaux de ses pères, dans son second mariage avec noble dame Assaga, très honorée fille de monseigneur Ogata, grand et redouté prince en Nippon… »

… Et je reprends la suite du roman d’Enguerrand. En débarquant au Japon, le sire de Coucy, comme je vous le disais tout à l’heure, trouvait un pays assez semblable à la France qu’il avait quittée, une féodalité très forte et très guerroyante, des troubles civils, des guerres de seigneur à seigneur, des révoltes… Il tombait justement avec sa petite troupe de Français encore assez solidement armés, au milieu d’une bagarre. Le seigneur Ogata, nommé tout à l’heure, aux prises avec quelques princes voisins, après une campagne malheureuse, luttait encore devant le castel de ses pères, presque cerné par l’ennemi, à l’entrée d’une presqu’île où ses vassaux s’étaient réfugiés. Enguerrand, reçu avec courtoisie par le seigneur japonais, n’hésita pas à embrasser sa cause, et le jour de la bataille, les ennemis d’Ogata virent avec étonnement se ruer sur eux en avant de tous les autres, un petit escadron serré d’une vingtaine d’hommes aux blanches armures de fer. C’étaient Enguerrand et ses compagnons, aussi bien montés que possible sur des petits chevaux du pays. Les lances d’abord, les épées ensuite et les haches d’armes firent une jolie trouée dans les rangs ennemis, trouée que le seigneur Ogata et ses hommes, profitant de l’effet produit, s’efforcèrent d’élargir. Le castel d’Ogata dégagé de cette façon inespérée, la guerre prit une meilleure tournure. Oyez un peu : l’un des épisodes de cette lutte va vous montrer que la poigne de ce terrible gaillard d’Enguerrand ne se rouilla pas au Japon. Un château dans lequel le seigneur Ogata croyait avoir mis en sûreté ses pécunes et sa fille courait le risque d’être enlevé par les daïmios ennemis. Enguerrand, avec ses hommes et quelques archers japonais, cherchait à se jeter dans la place pour soutenir la petite garnison épuisée et donner le temps d’arriver aux milices du daïmio Ogata. Arrêté par les enceintes palissadées des assiégeants, Enguerrand parvint à gagner à la faveur de la nuit le sommet des rochers boisés dominant à courte