Page:Véron - Mémoires d’un bourgeois de Paris, tome 1.djvu/142

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que j’ai beaucoup connu dans les dernières années de sa vie, avait ses grandes entrées chez un de ses amis, le marquis de M*** ; il trouve un jour le marquis et madame la baronne H*** se lançant à la tête des flambeaux et des porcelaines de pâte tendre. Montrond les voyant ainsi se prendre aux cheveux, s’écrie avec joie : J’avais bien raison de dire que vous étiez bien ensemble !

On avait rêvé que la révolution de 89 ferait table rase de tous les abus, de tous les ridicules, de tous les scandales, de tous les vices de l’ancien régime. Les vicieux meurent, mais non jamais les vices.

Prétendre que dans ce monde l’humanité peut se dépouiller de tous ses mauvais penchants, peut tout entière se convertir à la vertu, c’est rêver à l’avance le paradis.

Dans tous les siècles, l’humanité se ressemble et se continue. Dans des temps de licence, sous Henri III, toutes les hontes et tous les vices du cœur humain tiennent le haut du pavé et triomphent avec forfanterie. À des époques plus morales ou plus hypocrites, toutes les hontes et tous les vices du cœur humain ont le verbe moins haut, ne trottinent que la nuit, rasent les murailles et plient sous l’opinion publique jusqu’à une fausse décence, jusqu’à une fausse pudeur ; les fanfaronnades du vice cèdent la place à des éclats de vertu. Entre la fin du règne de Louis XIV et la régence, il n’y a qu’un couvercle de moins : c’est la différence d’une vie dépravée, les fenêtres fermées ou les fenêtres toutes grandes ouvertes ;