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J’ai assisté sur les boulevards, dans les derniers jours du mois de mars 1814, à des spectacles bien divers et d’une accablante tristesse.

Après les victoires de Montereau, de Troyes, de Bar-sur-Aube, de Chaumont, de Brienne, de Champ-Aubert, de Montmirail, quelques jours avant que Paris ouvrît ses portes aux armées étrangères, un très-nombreux convoi de soldats français blessés, venant de la barrière Fontainebleau et se rendant soit dans les hôpitaux, soit à la première division militaire, parcourut tous les boulevards ; c’était un tableau à assombrir l’esprit et à vous serrer le cœur.

Des charrettes garnies de paille et quelquefois conduites par des femmes contenaient six à huit blessés, tous à peine vêtus.

Bientôt se suivaient des cavaliers montés sur des chevaux boiteux ou blessés ; quelques-uns de ces cavaliers enveloppés dans leur manteau, d’autres n’ayant conservé que des vestiges de leur uniforme, et un grand nombre portant sous leur casque des linges qui leur cachaient presque toute la figure. Quelques cavaliers traînaient par la bride leurs chevaux épuisés de fatigue. On voyait du sang partout.

Beaucoup de soldats, soit d’infanterie, soit de cavalerie, étaient forcés de marcher, malgré des blessures à la jambe ou au pied, s’appuyant les uns sur leur sabre, d’autres sur leur fusil ou sur un bâton.

De chaque côté du boulevard étaient assis sur des chaises des spectateurs émus, qui eussent été empressés à secourir ces malheureux ; mais ces nobles victimes de la guerre ne demandaient et n’acceptaient rien.