Page:Véron - Mémoires d’un bourgeois de Paris, tome 1.djvu/24

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« Vous n’êtes qu’un maladroit ; le plus petit chirurgien saigne mieux que vous. Que je plains les malades qui se mettent entre vos mains ! Pansez-moi au plus vite et allez-vous-en ; me voilà peut-être estropiée. » On se doute de l’état de mon âme dans une pareille crise ! Le jour de ma grandeur avait été la veille de ma décadence, et une saignée manquée avait fait crouler tous les châteaux de cartes de ma prompte, et populaire célébrité ; l’humiliation se mêlait à mon désespoir, et en rentrant chez moi, d’une voix décidée, je dis à ce pauvre Justin, mon portier, que je fis depuis garçon de caisse de l’Opéra : « Justin, je ne veux plus faire de médecine, pas même, de saignée, et si on vient vous demander un médecin, vous répondrez qu’il n’y en a plus dans la maison. »

Si le titre de médecin coûte de longues études à acquérir, il n’est pas moins difficile de le supprimer et de l’effacer.

En France, mais en France seulement, un avocat est propre à tout, tandis qu’un médecin n’est jugé propre à rien, qu’à hanter les hôpitaux et les malades ; ce sont là des appréciations peu justes. Il faut, selon moi, placer sur la même ligne tous les hommes qui ont appliqué leur intelligence à de sérieuses études et qui ont appris à apprendre.

L’étude de la médecine rapporte surtout de précieux profits à l’intelligence ; l’étude de l’homme animal conduit vite à une observation pratique de l’homme moral, et le médecin est le seul à bien lire tout ce qui est écrit sur le visage humain. L’étude de la médecine, dont le