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Au Cercle des Étrangers seulement, le jeu ne commençait qu’à huit heures les jours de dîner, qu’à dix heures les autres jours. On donnait de temps en temps des bals avec soupers à Frascati et au Cercle. Sous l’empire, le numéro 9 restait aussi ouvert toute la nuit. Les Vénus des galeries du Palais-Royal y avaient leurs entrées et on y dansait. Le bal du numéro 9 fut supprimé sous la restauration, et la partie y finissait à minuit.

La passion du jeu est une des grandes passions du cœur humain, et toutes les grandes passions sont solitaires : ailleurs que dans les maisons de jeu, le joueur aime à vivre seul, avec ses rêves de fortune et ses désespoirs, comme l’amoureux avec son amour heureux ou trahi, comme l’ivrogne avec ses rêves fantastiques, avec sa folie et son abrutissement, comme l’avare avec son trésor, avec ses contemplations et ses transes.

Tout joueur, dans les maisons de jeu, passait par trois périodes bien contraires.

Le joueur sans expérience, le débutant, jouait avec cette confiance, avec cette audace, avec cette verve de la jeunesse.

Après quelques dures épreuves, le joueur ne jouait plus qu’avec les calculs de l’âge mûr ; il épousait les systèmes, il prenait des notes sur les caprices infinis du hasard, il étudiait et suivait des marches. L’un croyait au paroli, l’autre au tiers et le tout, celui-ci à la montante et à la descendante, celui-là à des calculs sur les points sortis comme signal des points à venir. J’ai vu des joueurs consulter sous la table mi jeu de cartes ; d’autres faire, d’un coup à l’autre, sur le papier, de ra-