Page:Va toujours.djvu/9

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— Tu dois avoir un livret militaire ?

— Oui Monsieur.

— Tu peux me le montrer ?

— Pour sûr. J'ai des citations. J’étais brigadier. Gardez-moi, Monsieur, je vous jure que je suis honnête,

— La preuve en est. Où est ce livret ?

— Ma sœur me le garde, moi, je n’ai rien où le mettre.

— En effet. Ta sœur est à Angers ?

— Elle est religieuse aux Augustines.

— Ah ! eh bien elle peut être fière de toi.

— Elle ne sait rien, Monsieur. C’est ma première aventure. Venez la voir avec moi, Monsieur, demain.

— Mère Burgevin, appela René, car la marchande était partie au chantier de bois pour recueillir les œufs et renfermer ses poules. Pouvez-vous loger cet homme pour la nuit ?

— Ben... J’ai deux lits vides dans la chambrée. Les autres sont occupés par les garçons de l’abattoir. Ce gars là n’a guère d’apparence, savoir si les autres voudraient de sa compagnie. Pendant leur sommeil, s’il les volait...

A ces mots, le malheureux éclata en sanglots. Semtel prit un parti :

— Mère Burgevin, que vous dois-je ?

— La soupe ? deux sous, la beurrée, deux sous, la tasse de boisson ? un liard.

— Il y a deux tasses avec la mienne.

— Ça non, Monsieur Semtel, la vôtre je vous l’offre.

— Merci. Bonsoir, voilà votre argent. Venez Charles Chat, brigadier. Moi, j’étais capitaine aux chasseurs d’Afrique lors de la prise de Constantine en 1835.

Maintenant l’homme raffermit sur ses jambes, marchait près de son protecteur :

— Mon Capitaine, le bon Dieu que prie ma sœur Javotte, vous bénira.

Ils avançaient en silence et parvinrent ainsi jusqu’à l’hôtel familial qu’habitait René Semtel, sur le Tertre Saint-Laurent dans la Doutre, juste en face de l’endroit où chaque année, à la fête-Dieu, on élève un reposoir parce que c’est là que Béranger prêcha son hérésie. (A présent le Reposoir est bâti à demeure).

L’ancien officier, maintenant en retraite, avait conservé l’antique demeure où il était né et qui portait à son pignon, la date : 1693. Sa mère était morte un an après sa naissance en donnant le jour à son frère Michel. Son père, artiste et savant érudit, était monté sur l’échafaud place du Ralliement parce qu’il avait logé chez lui son cousin l’abbé Loyau prieur de l’abbaye Saint-Nicolas. René et Michel, ses fils, avaient été élevés par Mademoiselle Nicole Semtel, sainte et digne