Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 1, 1931.djvu/100

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quand tu as parlé (le premier, et involontairement) de musique à propos de mon temple, c’est une divine analogie qui t’a visité. Cet hymen de pensées qui s’est conclu de soi-même sur tes lèvres, comme l’acte distrait de ta voix ; cette union d’apparence fortuite de choses si différentes, tient à une nécessité admirable, qu’il est presque impossible de penser dans toute sa profondeur, mais dont tu as ressenti obscurément la présence persuasive. Imagine donc fortement ce que serait un mortel assez pur, assez raisonnable, assez subtil et tenace, assez puissamment armé par Minerve, pour méditer jusqu’à l’extrême de son être, et donc jusqu’à l’extrême réalité, cet étrange rapprochement des formes visibles avec les assemblages éphémères des sons successifs ; pense à quelle origine intime et universelle il s’avancerait ; à quel point précieux il arriverait ; quel dieu il trouverait dans sa propre chair ! Et se possédant enfin dans cet état de divine ambiguïté, s’il se proposait alors de construire je ne sais quels monuments, de qui la figure vénérable et gracieuse participât directement de la pureté du son musical, ou dût communiquer à l’âme l’émotion d’un accord inépuisable, — songe, Phèdre, quel homme ! Imagine quels édifices !… Et nous, quelles jouissances !