Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 1, 1931.djvu/95

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de mon art. Je puis te dire seulement quelles vérités, sinon quels mystères, tu viens maintenant d’effleurer, me parlant de concert, de chants et de flûtes, au sujet de mon jeune temple. Dis-moi (puisque tu es si sensible aux effets de l’architecture), n’as-tu pas observé, en te promenant dans cette ville, que d’entre les édifices dont elle est peuplée, les uns sont muets ; les autres parlent ; et d’autres enfin, qui sont les plus rares, chantent ? — Ce n’est pas leur destination, ni même leur figure générale, qui les animent à ce point, ou qui les réduisent au silence. Cela tient au talent de leur constructeur, ou bien à la faveur des Muses.

— Maintenant que tu me le fais remarquer, je le remarque dans mon esprit.

— Bien. Ceux des édifices qui ne parlent ni ne chantent, ne méritent que le dédain ; ce sont choses mortes, inférieures dans la hiérarchie à ces tas de moellons que vomissent les chariots des entrepreneurs, et qui amusent, du moins, l’œil sagace, par l’ordre accidentel qu’ils empruntent de leur chute… Quant aux monuments qui se bornent à parler, s’ils parlent clair, je les estime. Ici, disent-ils, se réunissent les marchands. Ici, les juges délibèrent. Ici, gémissent des captifs. Ici, les amateurs de débauche…