Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 1, 1931.djvu/98

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de ces constructions gigantesques que l’on admire dans les ports. Elles s’avancent dans la mer. Leurs bras, d’une blancheur absolue et dure, circonscrivent des bassins assoupis dont ils défendent le calme. Ils les gardent en sûreté, paisiblement gorgés de galères, à l’abri des enrochements hérissés et des jetées retentissantes. De hautes tours, où veille quelqu’un, où la flamme des pommes de pin, pendant les nuits impénétrables, danse et fait rage, commandent le large, à l’extrémité écumante des môles… Oser de tels travaux, c’est braver Neptune lui-même. Il faut jeter les montagnes à charretées, dans les eaux que l’on veut enclore. Il faut opposer les rudes débris tirés des profondeurs de la terre, à la mobile profondeur de la mer, et aux chocs des cavaleries monotones que presse et dépasse le vent… Ces ports, me disait mon ami, ces vastes ports, quelle clarté devant l’esprit ! Comme ils développent leurs parties ! Comme ils descendent vers leur tâche ! — Mais les merveilles propres à la mer, et la statuaire accidentelle des rivages sont offertes gracieusement par les dieux à l’architecte. Tout conspire à l’effet que produisent sur les âmes, ces nobles établissements à demi naturels : la présence de l’horizon pur, la naissance et l’effacement d’une voile, l’émotion du détachement