Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/119

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complexions différents. Les combinaisons de tant de facteurs indépendants, le dosage de tant d’hérédités expliquent dans les actes et les sentiments des Français bien des contradictions et cette remarquable valeur moyenne des individus. À cause des sangs très disparates qu’elle a reçus, et dont elle a composé, en quelques siècles, une personnalité européenne si nette et si complète, productrice d’une culture et d’un esprit caractéristiques, la nation française fait songer a un arbre greffé plusieurs fois, de qui la qualité et la saveur de ses fruits résultent d’une heureuse alliance de sucs et de sèves très divers concourant à une même et indivisible existence.

La même circonstance permet de comprendre la plupart des institutions et des organisations spécifiquement françaises, qui sont en général des productions ou des réactions souvent très énergiques du corps national en faveur de son unité. Le sens de cette unité vitale est extrême en France.

Si j’osais me laisser séduire aux rêveries qu’on décore du beau nom de philosophie historique, je me plairais peut-être à imaginer que tous les événements véritablement grands de cette histoire de la France furent, d’une part, les actions qui ont menacé, ou tendu à altérer, un certain équilibre de races réalisé dans une certaine figure territoriale ; et, d’autre part, les réactions, parfois si énergiques, qui répondirent à ces atteintes, tendant à reconstituer l’équilibre.

Tantôt la nation semble faire effort pour atteindre ou reprendre sa composition optima, celle qui est la plus favorable à ses échanges intérieurs et à sa vie pleine et complète ; et tantôt faire effort pour rejoindre l’unité que cette composition même lui impose. Dans les dissensions intérieures aiguës, c’est toujours le parti qui semble en possession de rétablir au plus tôt, et à tout