Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/151

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le corps du grand roi était bien moins heureux que le sien peut l’être ; qu’il s’agisse du chaud ou du froid, de la peau ou des muscles. Que si le roi souffrait, on le secourait bien faiblement. Il fallait qu’il se tordît et gémît sur la plume, sous les panaches, sans l’espoir de la paix subite ou de cette absence insensible que la chimie accorde au moindre des modernes affligés.

Ainsi, pour le plaisir, contre le mal, contre l’ennui, et pour l’aliment des curiosités de toute espèce, quantité d’hommes sont mieux pourvus que ne l’était, il y a deux cent cinquante ans, l’homme le plus puissant d’Europe.

Supposé que l’immense transformation que nous voyons, que nous vivons et qui nous meut, se développe encore, achève d’altérer ce qui subsiste des coutumes, articule tout autrement les besoins et les moyens de la vie, bientôt l’ère toute nouvelle enfantera des hommes qui ne tiendront plus au passé par aucune habitude de l’esprit. L’histoire leur offrira des récits étranges, presque incompréhensibles : car rien dans leur époque n’aura eu d’exemple dans le passé, ni rien du passé ne survivra dans leur présent. Tout ce qui n’est pas purement physiologique dans l’homme aura changé, puisque nos ambitions, notre politique, nos guerres, nos mœurs, nos arts, sont à présent soumis à un régime de substitutions très rapides ; ils dépendent de plus en plus étroitement des sciences positives, et donc, de moins en moins, de ce qui fut. Le fait nouveau tend à prendre toute l’importance que la tradition et le fait historique possédaient jusqu’ici.

Déjà quelque natif des pays neufs qui vient visiter Versailles, peut et doit regarder ces personnages chargés de vastes chevelures mortes, vêtus de broderies, noblement arrêtés dans des attitudes de parade, du même œil dont nous considérons au Musée