Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 11, 1939.djvu/68

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poétique ainsi défini présente de grandes analogies avec l’univers du rêve.

Puisque ce mot de rêve s’est introduit dans mon discours, je dirai au passage qu’il s’est fait dans les temps modernes, à partir du Romantisme, une confusion assez explicable, mais assez regrettable, entre la notion de poésie et celle de rêve. Ni le rêve, ni la rêverie ne sont nécessairement poétiques. Ils peuvent l’être ; mais des figures formées au hasard ne sont que par hasard des figures harmoniques.

Toutefois, le rêve nous fait comprendre par une expérience commune et fréquente, que notre conscience puisse être envahie, emplie, constituée par un ensemble de productions remarquablement différentes des réactions et des perceptions ordinaires de l’esprit. Il nous donne l’exemple familier d’un monde fermé où toutes choses réelles peuvent être représentées, mais où toutes choses paraissent et se modifient par les seules variations de notre sensibilité profonde. C’est à peu près de même que l’état poétique s’installe, se développe et se désagrège en nous. C’est dire qu’il est parfaitement irrégulier, inconstant, involontaire, fragile, et que nous le perdons comme nous l’obtenons, par accident. Il y a des périodes de notre vie où cette émotion et ces formations si précieuses ne se manifestent pas. Nous ne pensons même pas qu’elles soient possibles. Le hasard nous les donne, le hasard nous les retire.

Mais l’homme n’est homme que par la volonté et la puissance qu’il a de conserver ou de rétablir ce qu’il lui importe de