Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 2, 1931.djvu/32

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avec les choses : on se sentait reculé, mêlé aux maisons, aux grandeurs de l’espace, au coloris remué de la rue, aux coins… Et les paroles le plus adroitement touchantes, — celles même qui font leur auteur plus près de nous qu’aucun autre homme, celles qui font croire que le mur éternel entre les esprits tombe, — pouvaient venir à lui… Il savait admirablement qu’elles auraient ému tout autre. Il parlait, et sans pouvoir préciser les motifs ni l’étendue de la proscription, on constatait qu’un grand nombre de mots étaient bannis de son discours. Ceux dont il se servait, étaient parfois si curieusement tenus par sa voix ou éclairés par sa phrase que leur poids était altéré, leur valeur nouvelle. Parfois, ils perdaient tout leur sens, ils paraissaient remplir uniquement une place vide dont le terme destinataire était douteux encore ou imprévu par la langue. Je l’ai entendu désigner un objet matériel par un groupe de mots abstraits et de noms propres.

À ce qu’il disait, il n’y avait rien à répondre. Il tuait l’assentiment poli. On prolongeait les conversations par des bonds qui ne l’étonnaient pas.

Si cet homme avait changé l’objet de ses méditations fermées, s’il eût tourné contre le monde la puissance régulière de son esprit, rien ne lui eût