Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 2, 1931.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les fois que se pose le problème de Teste, apparaissent de curieuses formations.

Il y a des jours où je le retrouve très nettement. Il se représente à mon souvenir, à côté de moi. Je respire la fumée de nos cigares, je l’entends, je me méfie. Parfois, la lecture d’un journal me fait me heurter à sa pensée, quand un événement maintenant la justifie. Et je tente encore quelques-unes de ces expériences illusoires qui me délectaient à l’époque de nos soirées. C’est-à-dire que je me le figure faisant ce que je ne lui ai pas vu faire. Que devient M. Teste souffrant ? — Amoureux, comment raisonne-t-il ! — Peut-il être triste ? — De quoi aurait-il peur ? — Qu’est-ce qui le ferait trembler ? — … Je cherchais. Je maintenais entière l’image de l’homme rigoureux, je tâchais de la faire répondre à mes questions. Elle s’altérait.

Il aime, il souffre, il s’ennuie. Tout le monde s’imite. Mais, au soupir, au gémissement élémentaire, je veux qu’il mêle les règles et les figures de tout son esprit.

Ce soir, il y a précisément deux ans et trois mois que J’étais avec lui au théâtre, dans une loge prêtée. J’y ai songé tout aujourd’hui.