Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 2, 1931.djvu/36

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Elle disparut. M. Teste murmurait : « On n’est beau, on n’est extraordinaire que pour les autres ! Ils sont mangés par les autres ! »

Le dernier mot sortit du silence que faisait l’orchestre, Teste respira.

Sa face enflammée où soufflaient la chaleur et la couleur, ses larges épaules, son être noir mordoré par les lumières, la forme de tout son bloc vêtu, étayé par la grosse colonne, me reprirent. Il ne perdait pas un atome de tout ce qui devenait sensible, à chaque instant, dans cette grandeur rouge et or.

Je regardai ce crâne qui faisait connaissance avec les angles du chapiteau, cette main droite qui se rafraîchissait aux dorures ; et, dans l’ombre de pourpre, les grands pieds. Des lointains de la salle, ses yeux vinrent vers moi ; sa bouche dit : « La discipline n’est pas mauvaise… C’est un petit commencement… »

Je ne savais répondre. Il dit de sa voix basse et vite : « Qu’ils jouissent et obéissent ! »

Il fixa longuement un jeune homme placé en face de nous, puis une dame, puis tout un groupe dans les galeries supérieures, — qui débordait du balcon par cinq ou six visages brûlants, — et puis tout le monde, tout le théâtre, plein comme les