Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 3, 1933.djvu/120

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II

    Fontaine, ma fontaine, eau froidement présente,
Douce aux purs animaux, aux humains complaisante
Qui d’eux-mêmes tentés suivent au fond la mort,
Tout est songe pour toi, Sœur tranquille du Sort !
À peine en souvenir change-t-il un présage,
Que pareille sans cesse à son fuyant visage,
Sitôt de ton sommeil les cieux te sont ravis !
Mais si pure tu sois des êtres que tu vis,
Onde, sur qui les ans passent comme les nues,
Que de choses pourtant doivent t’être connues,
Astres, roses, saisons, les corps et leurs amours !
    Claire, mais si profonde, une nymphe toujours
Effleurée, et vivant de tout ce qui l’approche,
Nourrit quelque sagesse à l’abri de sa roche,
À l’ombre de ce jour qu’elle peint sous les bois.
Elle sait à jamais les choses d’une fois…
    Ô présence pensive, eau calme qui recueilles
Tout un sombre trésor de fables et de feuilles,
L’oiseau mort, le fruit mûr, lentement descendus,
Et les rares lueurs des clairs anneaux perdus.