Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 3, 1933.djvu/201

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de propriétés que nous examinerons tout-à-l’heure et que j’appellerai provisoirement poétiques. Toutes les fois que la parole montre un certain écart avec l’expression la plus directe, c’est-à-dire la plus insensible de la pensée, toutes les fois que ces écarts font pressentir, en quelque sorte, un monde de rapports distinct du monde purement pratique, nous concevons plus ou moins nettement la possibilité d’agrandir ce domaine d’exception, et nous avons la sensation de saisir le fragment d’une substance noble et vivante qui est peut-être susceptible de développement et de culture ; et qui, développée et utilisée, constitue la poésie en tant qu’effet de l’art.

Que l’on puisse constituer toute une œuvre au moyen de ces éléments si reconnaissables, si bien distincts de ceux du langage que j’ai appelé insensiblet — que l’on puisse, par conséquent, au moyen d’une œuvre versifiée ou non, donner l’impression d’un système complet de rapports réciproques entre nos idées, nos images, d’une part, et nos moyens d’expression, de l’autre, — système qui correspondrait particulièrement à la création d’un état émotif de l’âme, tel est en gros le problème de la poésie pure. Je dis pure au sens où le physicien parle d’eau pure. Je veux dire que la question se pose de savoir si l’on peut