Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 3, 1933.djvu/208

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doit être de tirer de cet instrument pratique les moyens de réaliser une œuvre essentiellement non pratique. Comme je vous l’ai déjà dit, il s’agit, pour lui, de créer un monde ou un ordre de choses, un système de relations, sans nul rapport avec l’ordre pratique.

Pour faire concevoir toute la difficulté de cette tâche, je vais comparer l’état initial, les données, les moyens qui s’offrent au poète, à ceux qui sont offerts à un artiste d’une autre espèce dont l’objet n’est cependant pas très différent du sien. Je vais comparer ce qui est donné au poète, et ce qui est donné au musicien. Heureux le musicien ! L’évolution de son art lui a attribué, depuis des siècles, une situation toute privilégiée. Comment la musique s’est-elle constituée ? Le sens de l’ouïe nous donne Cunivers des bruits. Notre oreille admet une infinité de sensations qu’elle reçoit dans un ordre quelconque et dont elle apprécie quatre qualités distinctes. Or, d’antiques observations et de très anciennes expériences ont permis de déduire, de l’univers des bruits, le système ou ['univers des sons, qui sont des bruits particulièrement simples et reconnaissables et particulièrement aptes à former des combinaisons, des associations, — dont l’oreille ou plutôt l’entendement, perçoit, aussitôt qu’ils sont produits, la structure, l’enchaînement, les