Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 3, 1933.djvu/212

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poétique, c’est-à-dire qu’il doit contraindre l’instrument pratique, l’instrument grossier et créé par n’importe qui, l’instrument de chaque instant, utilisé pour les besoins immédiats et modifié à chaque instant par les vivants, à devenir, pendant la durée que son attention assigne au poème, la substance d’un état émotif choisi, bien distinct de tous les états accidentels et sans durée prévue qui composent la vie sensitive ou psychique ordinaire. On peut dire sans exagérer que le langage commun est le fruit du désordre de la vie en commun, puisque des êtres de toute nature, soumis à une quantité innombrable de conditions et de besoins, le reçoivent et s’en servent au mieux de leurs désirs et de leurs intérêts, pour instituer entre eux des rapports ; tandis que le langage du poète, quoiqu’il utilise nécessairement des éléments fournis par ce désordre statistique, constitue, au contraire, un effort de l'homme isolé pour créer un ordre artificiel et idéal, au moyen d’une matière d’origine vulgaire.

Si ce problème paradoxal pouvait se résoudre entièrement, c’est-à-dire si le poète pouvait arriver à construire des œuvres où rien de ce qui est de la prose n’apparaîtrait plus, des poèmes où la continuité musicale ne serait jamais interrompue, où les relations des significations seraient elles-mêmes perpétuellement