Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 3, 1933.djvu/47

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Au hasard ! À jamais, dans le sommeil sans hommes
Pur des tristes éclairs de leurs embrassements,
Elle laisse rouler les grappes et les pommes
Puissantes, qui pendaient aux treilles d’ossements,

Qui riaient, dans leur ambre appelant les vendanges,
Et dont le nombre d’or de riches mouvements
Invoquait la vigueur et les gestes étranges
Que pour tuer l’amour inventent les amants…

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Sur toi, quand le regard de leurs âmes s’égare,
Leur cœur bouleversé change comme leurs voix,
Car les tendres apprêts de leur festin barbare
Hâtent les chiens ardents qui tremblent dans ces rois…

À peine effleurent-ils de doigts errants ta vie,
Tout leur sang les accable aussi lourd que la mer,
Et quelque violence aux abîmes ravie
Jette ces blancs nageurs sur tes roches de chair…

Récifs délicieux, Île toute prochaine,
Terre tendre, promise aux démons apaisés,
L’amour t’aborde, armé des regards de la haine,
Pour combattre dans l’ombre une hydre de baisers !