Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 4, 1934.djvu/101

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l’autre menacées de destins inconnus par la révolution actuelle des choses de ce globe.

Notre civilisation prend, ou tend à prendre, la structure et les qualités d’une machine, comme je l’ai indiqué tout à l’heure. La machine ne souffre pas que son empire ne soit pas universel, et que des êtres subsistent, étrangers à son acte, extérieurs à son fonctionnement. Elle ne peut, d’autre part, s’accommoder d’existences indéterminées dans sa sphère d’action. Son exactitude, qui lui est essentielle, ne peut tolérer le vague ni le caprice social ; sa bonne marche est incompatible avec les situations irrégulières. Elle ne peut admettre que personne demeure, de qui le rôle et les conditions d’existence ne soient précisément définis. Elle tend à éliminer les individus imprécis à son point de vue, et à reclasser les autres, sans égards au passé, — ni même à l’avenir de l’espèce.

Elle a commencé à s’attaquer aux populations peu organisées qui existaient sur le globe. Une loi (qui se combine avec cette loi primitive qui fait du besoin et du sentiment de la force des impulsions agressives) veut, de plus, qu’il se produise immanquablement un mouvement offensif du plus organisé contre le moins organisé.

La machine, — c’est-à-dire le monde occidental, — ne pouvait qu’elle ne s’en prît quelque jour à ces hommes indéfinis, — parfois incommensurables, — qu’elle trouvait en elle-même.

Nous assistons donc à l’attaque de la masse indéfinissable par la volonté ou la nécessité de définition. Lois fiscales, lois économiques, réglementation du travail, et surtout modifications pro-