Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 4, 1934.djvu/39

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s’établir. L’Égypte, la Phénicie, ont été comme des pré-figures de la civilisation que nous avons arrêtée ; vinrent ensuite les Grecs, les Romains, les Arabes, les populations ibériques. On croit voir autour de cette eau étincelante et chargée de sel, la foule des dieux et des hommes les plus imposants de ce monde : Horus, Isis et Osiris ; Astarté et les kabires ; Pallas, Poséidon, Minerve, Neptune, et leurs semblables, règnent concurremment sur cette mer qui a ballotté les étranges pensées de saint Paul, comme elle a bercé les rêveries et les calculs de Bonaparte…

Mais sur ses bords, où tant de peuples s’étaient déjà mêlés et heurtés, et instruits les uns les autres, vinrent, au cours des âges, d’autres peuples encore, attirés vers la splendeur du ciel, par la beauté et par l’intensité particulière de la vie sous le soleil. Les Celtes, les Slaves, les peuples germaniques, ont subi l’enchantement de la plus noble des mers ; une sorte de tropisme invincible, s’exerçant pendant des siècles, a donc fait de ce bassin aux formes admirables, l’objet du désir universel et le lieu de la plus grande activité humaine. Activité économique, activité intellectuelle, activité politique, activité religieuse, activité artistique, tout se passe ou, du moins, tout semble naître, autour de la mer intérieure. C’est là que l’on assiste aux phénomènes précurseurs de la formation de l’Europe et que l’on voit se dessiner à une certaine époque la division de l’humanité en deux groupes de plus en plus dissemblables ; l’un, qui occupe la plus grande partie du globe, demeure comme immobile dans ses coutumes, dans ses connaissances, dans sa puissance pratique ; il ne progresse plus, ou ne progresse qu’imperceptiblement.

L’autre est en proie à une inquiétude et à la recherche perpétuelles. Les échanges s’y multiplient, les problèmes les plus variés