Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 4, 1934.djvu/45

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Mais le christianisme, à la parole de saint Pierre, quoique l’une des très rares religions qui fussent mal vues à Rome, le christianisme, issu de la nation juive, s’étend de son côté aux gentils de toute race ; il leur confère par le baptême la dignité nouvelle de chrétien comme Rome conférait à ses ennemis de la veille la cité romaine. Il s’étend peu à peu dans le lit de la puissance latine, il épouse les formes de l’empire. Il en adopte même les divisions administratives ; (Civitas au Ve siècle désigne la ville épiscopale). Il prend tout ce qu’il peut à Rome, il y fixe sa capitale et non point à Jérusalem. Il lui emprunte son langage. Un même homme né à Bordeaux peut être citoyen romain et même magistrat, il peut être évêque de la religion nouvelle. Le même Gaulois, qui est préfet impérial, écrit en pur latin de belles hymnes à la gloire du fils de Dieu qui est né juif et sujet d’Hérode. Voici déjà un Européen presque achevé. Un droit commun, un dieu commun ; le même droit et le même dieu ; un seul juge pour le temps, un seul Juge dans l’éternité.

Mais, tandis que la conquête romaine n’avait saisi que l’homme politique et n’avait régi les esprits que dans leurs habitudes extérieures, la conquête chrétienne vise et atteint progressivement le profond de la conscience.

Je ne veux même pas essayer de mesurer les modifications extraordinaires que la religion du Christ a imposées à cette conscience qu’il fallait rendre universelle. Je ne veux même pas tenter de vous exposer comment la formation de l’Européen en a été singulièrement influencée. Je suis contraint de ne me mouvoir qu’à la surface des choses, et d’ailleurs les effets du christianisme sont bien connus.

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