Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 4, 1934.djvu/73

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efforts à dépenser pour trouver à quoi employer son instinct constructeur. Le théâtre politique lui offre des sujets infinis.

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Toute politique implique quelque idée de l’homme. On a beau limiter les objectifs politiques, les prendre aussi simples, aussi grossiers qu’on le voudra, toute politique implique toujours une idée de l’homme et de l’esprit, est une représentation du monde. Or, comme je l’ai fait pressentir, dans le monde moderne, la distance entre l’idée de l’homme que la science et la philosophie proposent et celle à laquelle s’appliquent les législations et les notions politiques, morales ou sociales, est une distance croissante. Il y a déjà un abîme entre elles.

Si l’on traduisait en termes précis de l’usage scientifique les choses d’ordre social et moral, la discordance éclaterait entre ces idées : l’une qui serait le produit des recherches objectives récentes et fondées sur des éléments vérifiables (c’est là le sens exact du mot scientifique), l’autre indécise et confuse notion, où les croyances très anciennes, les habitudes de tout âge, les abstractions d’origine millénaire, les expériences économiques, politiques de plus d’un peuple, les sentiments plus ou moins vénérables, sont bizarrement engagés et combinés. Donnons un exemple : si l’on voulait appliquer dans l’ordre politique les idées sur l’homme que nous proposent les doctrines scientifiques actuelles, la vie deviendrait probablement insupportable pour la plupart d’entre nous. Il y aurait une révolte du sentiment général devant cette application rigoureuse des données les plus rationnelles. On arriverait, en effet, à classer chaque individu, à pénétrer dans son