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REMERCIEMENT

chaleur et de la fureur dramatique de nos révolutions. On revendiquait alors une liberté totale pour les formes de l’art et ses expressions.

Mais les jeunes gens que j’ai connus, ou du moins ceux d’entre eux qui avaient dans l’âme de quoi oser et approfondir, ressentaient plutôt cette ardeur expérimentale, cette volonté d’innovations réfléchies, de combinaisons et de solutions audacieuses qui ont fait notre science et notre technique si grandes et si étonnantes que les créations imaginaires pâlissent auprès des leurs, et, envieuses des prodiges positifs, s’en inspirent de plus en plus.

Il fallait bien que les expériences les plus hardies fussent tentées et que ce qui demeurait de traditionnel ou de conventionnel dans les arts fût soumis à des épreuves impitoyables. On s’inquiéta, parmi nous, de restituer les lois naturelles de la musique poétique, d’isoler la poésie même de tous les éléments étrangers à son essence, de se faire une idée plus précise des moyens et des possibilités de l’art par une étude et une méditation nouvelles du vocabulaire, de la syntaxe, de la prosodie et des figures. Les uns poursuivant cette analyse, les autres se confiant à leur sensibilité dont ils développaient les expressions à l’infini, ils composaient ensemble le mouvement littéraire le plus tourmenté de philosophie, le plus curieux de science, le plus raisonneur, et cependant le plus possédé de la passion mystique de la connaissance et de la beauté que l’histoire de nos lettres ait enregistré. Il était inévitable que des recherches si spéciales et généralement si téméraires fussent souvent parentes d’ouvrages difficiles ou déconcertants.

C’est alors que se produisit le phénomène très remarquable d’une division profonde dans le peuple cultivé. Entre les amateurs