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À L’ACADÉMIE FRANÇAISE

séquence remarquable, la dignité la plus élevée aux auteurs que nous déclarons inspirés. Nous croyons de ceux-ci qu’ils sont de purs instruments d’un certain souffle étranger à eux-mêmes et presque à la nature ; nous en faisons des roseaux parlants, par quoi nous leur accordons tout ensemble les honneurs du premier mérite et les immenses avantages de l’irresponsabilité.

Au contraire, Messieurs, et malgré la superstition récente, je reconnais un principe particulier de gloire à celui qui choisit, qui ne fait mine d’ignorer les beautés acquises, ou qui reprend, dans son heureuse connaissance des trésors que le temps a formés, les moyens de sa perfection. Le mystère du choix n’est pas un moindre mystère que celui de l’invention, en admettant qu’il en soit bien distinct. Et puis, nous ne savons absolument rien sur le fond de l’un ni de l’autre.

Le jardinier du Jardin d’Épicure, qui unissait ce grand don de choisir à sa prodigieuse lecture, ne pouvait manquer, en tout point de ses créations, de faire sentir une conscience très éveillée de tous les prestiges du discours et une présence prochaine des plus beaux et des plus purs modèles de notre art. Sa puissante mémoire en était toute ornée. Ce que nous avons de plus musical, de plus léger, de plus limpide dans notre langue, lui était tout à fait intime. Il n’était pas moins imprégné de ce que nous avons aussi de plus vif, de plus offensif dans nos monuments littéraires, de plus alerte et redoutable, et de plus délicatement mortel. Ses romans, qui sont bien plutôt des chroniques d’un monde dont il n’a pas laissé de faire paraître tout le mépris qu’il en concevait facilement, sont écrits dans le ton de l’ironie classique qui lui était une manière naturelle et comme instinctive de s’exprimer,