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REMERCIEMENT

ne se refuse rien. Il produit mécaniquement des idées vives qui s’enhardissent l’une l’autre.

Je songeai à la singularité de cet art que l’on nomme classique ; je remarquai qu’il commence de paraître aussitôt que l’expérience acquise commence d’intervenir dans la composition et dans le jugement des œuvres. Il est inséparable de la notion de préceptes, de règles et de modèles…

Bientôt j’en vins à m’interroger comment il se faisait que cet art se fût prononcé et particulièrement imposé en France. La France, me disais-je, est le seul pays du monde où la considération de la forme, l’exigence et le souci de la forme en soi aient existé dans les temps modernes. Ni la force des pensées, ni l’intérêt des passions décrites, ni la génération merveilleuse des images, ni les éclats mêmes du génie ne suffisent à satisfaire une nation assez difficile pour ne pas goûter entièrement ce qu’elle ne peut goûter après réflexion. Elle ne sépare pas volontiers ce qui fut spontané de ce qui sera réfléchi. Elle n’admire tout à fait que lorsqu’elle a trouvé des raisons solides et universelles de son plaisir ; et la recherche de ces raisons l’a conduite jadis, comme il arriva d’abord aux anciens, à distinguer très soigneusement l’art de dire du dire même.

Il n’est pas étonnant (me soufflait encore ma rêverie) que dans un pays assez peu crédule, ce discernement se soit imposé. Le sentiment et le culte de la forme m’apparurent alors des passions de l’esprit qui ne se dégagent que de ses résistances. Le doute mène à la forme, me disais-je en raccourci…

Repensant alors à celui que je quittais, et dont rien n’est plus connu que son amour de l’art classique, si ce n’est le scepticisme extrême qu’il professait, (car il était le doute en personne), il me vint un soupçon qu’il existât quelque liaison assez cachée,