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REMERCIEMENT

exactement une certaine attente que nous nous sommes définie.

L’art classique dit au poète : tu ne sacrifieras point aux idoles, qui sont les beautés de détail. Tu ne te serviras point de tous les mots, dont il en est de rares et de baroques qui tirent à eux toute l’attention et qui brillent vainement aux dépens de ta pensée. Tu n’éblouiras pas à peu de frais et tu ne spéculeras pas sur l’insolite. Tu ne chercheras point à foudroyer, car tu n’es pas un dieu, quoique tu penses ; mais, seulement, communique aux hommes, si tu peux, l’idée d’une perfection d’homme.

L’art classique dit encore bien des choses, mais il est de plus savantes voix que la mienne pour le faire parler. Je me borne à redire après tout le monde ce qu’il fut, que je résume en peu de mots : il est admirable, il fut réservé à la France, que, sous l’empire de l’intelligence volontaire, un art qui fut le comble de la grâce fut créé ; et qu’une aisance supérieure dans le style, une intimité continue des formes avec les pensées, une pudeur délicieuse aient été les fruits étonnants d’une contrainte extraordinaire.

Considérons encore un peu comment ceci s’obtint. On augmenta cruellement le nombre des entraves des Muses. On édicta une restriction très redoutable du nombre de leurs pas et de leurs mouvements naturels. On chargea le poète de chaînes. On l’accabla de défenses bizarres et on lui intima des prohibitions inexplicables. On lui décima son vocabulaire. On fut atroce dans les commandements de la prosodie.

Ceci fait, des règles strictes, et quelquefois absurdes, ayant été promulguées, des conventions tout artificielles ayant été arrêtées, il arriva, Messieurs, ce qui nous émerveille encore, que par l’opération d’une demi-douzaine d’hommes du premier ordre, et