Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 5, 1935.djvu/59

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L’avenir, — s’il est permis de l’inventer un instant, — nous serait donc assez favorable dans l’hypothèse où la puissance militaire reposerait bien moins sur l’énormité des effectifs et sur l’action des grands nombres d’hommes que sur la valeur individuelle, l’audace et l’agilité intelligente du personnel. L’aviateur, les servants d’une mitrailleuse donnent déjà l’idée de ce que pourront être les agents humains des conflits. Les engins nouveaux tendent à supprimer indistinctement toute vie dans une aire toujours plus grande. Toute concentration est un danger, tout rassemblement attire la foudre ; on verra, sans doute, se développer les entreprises de peu d’hommes choisis, agissant par équipes, produisant en quelques instants, à une heure, dans un lieu imprévus, des événements écrasants. Voilà ce qui est possible, et qui donnerait aux qualités personnelles une valeur incomparable.


Mais nous ne sommes point encore dans une ère si avancée. Vous commandez dans quelque paisible ville de garnison, un peloton ou une compagnie. Je vous imagine fort bien dans ce petit commandement. Vous connaissez les noms de tous vos hommes, — ce qui, d’ailleurs, est un devoir, — et je m’assure que vous savez quelque chose de leur vie et de leurs caractères. J’ai dit que le soldat français aime de comprendre ; il n’aime pas moins d’être compris. Il en résulte que les relations de l’officier avec ses hommes sont en France plus humaines et donc plus intéressantes qu’ailleurs. C’est peut-être par ces rapports entre les chefs et les soldats, par le plus ou moins de compréhension et de divination mutuelles que se distinguent le plus les différentes armées les unes des autres. Un jeune français, qui demeure pen-