Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 5, 1935.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faut bien nommer hérétique. Confessons que le chemin de l’hérésie vous a conduit très haut, — jusqu’au sommet de la carrière, jusqu’à la gloire, et finalement jusqu’ici, Monsieur, où parfois conduit l’hérésie même littéraire.

Vous choquiez si franchement les idées qui étaient alors souveraines que les doctrinaires de l’armée eussent pu vous tenir rigueur. Il n’en fut presque rien. En dépit de vos opinions téméraires et de l’empire du dogme assez intolérant, on constate à l’honneur de vos chefs que toute la liberté, — joignons-y la causticité — de votre esprit ne les empêcha pas de reconnaître vos talents, et même de vous confier les fonctions de professeur de tactique à l’École supérieure de Guerre, — c’est-à-dire au centre même d’élaboration et de prédication de la doctrine dont vous doutiez ouvertement.

Je crois bien que c’est en ce point de votre carrière qu’elle croise pour la première fois celle de votre illustre prédécesseur. Foch, devenu directeur de la célèbre École, vous laissa entièrement libre d’y enseigner une doctrine qui n’était pas tout à fait la sienne. J’aime beaucoup ce petit trait qui ne peut être que d’une grande âme.

Vos idées à présent sont bien arrêtées ; les positions de votre esprit, les bases de vos jugements solidement assises.

D’une part, notion juste et toujours présente de l’homme ; sentiment de ses forces réelles que vous ferez toujours figurer dans vos calculs ; importance capitale de la connaissance intime du soldat.

D’autre part, idée précise d’une tactique expérimentale ; image nette du combat tel que l’armement à grande puissance exige qu’on le conçoive.