Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 5, 1935.djvu/86

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tances et d’événements qui se composent, d’heure en heure, en désastre ? Ce point dernier, cette suprême chance est et ne peut être que dans le cœur même de l’adversaire. Au milieu des plus grands avantages, l’âme du presque vainqueur conserve de quoi faiblir. Le peu de doute qui lui reste sur sa victoire prochaine, ou bien le trop de confiance en elle qui l’enivre, ce sont les ultimes chances d’un parti qui se sent périr.

Voilà ce que Foch ne cessait de penser et qui nous a sauvés. Aux jours les plus critiques, il lit le désespoir dans les fureurs, et jusque dans les progrès effrayants de l’ennemi. Il y voit leur point noir ; il y voit si distinctement poindre sa victoire que les très durs événements qui se précipitent, la bataille jusque sous Amiens, la bataille vers Compiègne, la formidable surprise de Château-Thierry lui font à peine différer le projet de sa grande offensive.

Mais enfin le temps vient qu’il peut être lui-même. La moitié de l’année, rien que revers, s’achève. L’été commence. Foch prend en mains la victoire. Il la mène de toutes parts. L’automne apporte le triomphe.

Quel moment dans son cœur dût être ce moment où le salut de sa patrie, l’accomplissement du vœu de toute sa vie, le couronnement du travail de toute sa pensée, la certitude d’une immortelle gloire sur son nom lui vinrent offerts à la fois par quelques hommes défaits et consternés, portant la honte et la fureur sur le visage, une amertume infinie dans l’âme ; et dans les mains, ce qu’abandonne leur pays !


Je ne me risquerai pas, Monsieur, à parler de ces événements après vous, qui les avez vécus, subis, ou créés dans une constante