Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 5, 1935.djvu/89

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infime fraction des énormes ressources consumées. Voilà des certitudes. Il s’y ajoute une forte et redoutable probabilité, qui est celle de désordres et de bouleversements intérieurs incalculables.

Je crois que je n’ai rien dit que nous ne venions de voir : deux groupes de nations essayer de se dévorer l’un l’autre jusqu’à l’extrême épuisement des principaux adversaires ; toutes les prévisions économiques et militaires en défaut ; des peuples qui se croyaient par leur situation et leurs intentions fort éloignés de prendre part à la lutte, contraints de s’y engager ; des dynasties antiques et puissantes détrônées ; le primat de l’Europe dans le monde compromis, son prestige dissipé ; la valeur de l’esprit et des choses de l’esprit profondément atteinte ; la vie bien plus dure et plus désordonnée ; l’inquiétude et l’amertume un peu partout ; des régimes violents ou exceptionnels s’imposer en divers pays.

Que personne ne croie qu’une nouvelle guerre puisse mieux faire et radoucir le sort du genre humain.

Il semble cependant que l’expérience n’est pas suffisante. Quelques-uns placent leurs espoirs dans une reprise du carnage. On trouve qu’il n’y eut pas assez de détresse, de déceptions, pas assez de ruines ni de larmes ; pas assez de mutilés, d’aveugles, de veuves et d’orphelins. Il paraît que les difficultés de la paix font pâlir l’atrocité de la guerre, dont on voit cependant interdire çà et là les effrayantes images.

Mais est-il une seule nation, de celles qui ont désespérément combattu, qui ne consentirait que la grande mêlée n’eût été qu’un horrible rêve, qui ne voudrait se réveiller frémissante, mais intacte ; hagarde, mais assagie ? Est-il une seule nation, de celles que peut tenter encore la sanglante aventure, qui ose fermement