Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 7, 1937.djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nos talents nous pressent de s’employer ; la formation vive et incessante des idées enfante une étrange impatience de les produire. L’œuvre future fermente dans son auteur futur. Mais cette fureur veut vendre notre âme aux autres ; mais cette puissance, quand enfin elle s’épanche et se donne carrière, nous conduit presque toujours loin de nous-mêmes ; elle entraîne notre Moi où il ne comptait pas aller. Elle l’engage dans un monde d’exhibitions, de comparaisons, d’évaluations réciproques, où il devient, en quelque sorte, pour soi-même, un effet de l’effet qu’il produit sur un grand nombre d’inconnus… L’homme connu tend à ne plus être qu’une émanation de ce nombre indistinct d’inconnus, c’est-à-dire une créature de l’opinion, un monstre absurde et public auquel le vrai homme peu à peu le cède et se conforme.

Ainsi en est-il de ces bienheureux que leur humilité a fait mettre sur des autels, où l’on voit ces pauvres dorés et ces humbles encensés.

Nous écoutons les tentations de nos puissances, aux dépens de ce que nous avons au cœur de plus précieux peut-être ; de ce qui est jaloux, farouche, incommunicable et qui veut l’être. Cet insulaire naïf et cet amant de la gloire, (qui ne l’est pas moins), s’arrangent enfin comme ils le peuvent d’une seule et même destinée…

Comment se tirer de cette contrariété de deux instincts capi-