Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 8, 1938.djvu/190

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184 PIÈCES SUR L’ART se balance entre des choses qui ne savent pas mourir et des choses qui ne peuvent pas vivre ; et les extrêmes la rassurent... Enfin, comment ne pas observer autour de nous que la re¬ cherche de la perfection de l’exécution et de la précision dans les moyens, le soin exquis des préparations, la certitude et le délié dans les actes, le souci de ne rien laisser au hasard et à l’a¬ bandon, toutes ces attentions qui distinguent l’artiste d’un homme qui s’amuse avec des pinceaux, sont non seulement négligées, mais regardées par plus d’un comme au-dessous de leur génie ? Et quel paradoxe qu’une époque dont la vie même est soumise à la détermination exacte de bien des nombres, dont la science et l’industrie exigent l’emploi d’appareils des plus délicats, l’ob¬ servance de précautions minutieuses, souffre, dans la technique des arts, de tels relâchements, et semble se complaire aux jeux de l’insuffisance et aux hardiesses de la facilité ! Ce que l’on exige aujourd’hui d’un coureur, d’un joueur de tennis, d’un athlète qui veut se distinguer, — exercices raison- nés, discipline sévère, liberté acquise par longue contrainte, — contraste curieusement avec le peu qu’il faut pour faire figure d’artiste. Tel est le dur langage, et telles les plaintes, qui pourraient s’élever dans la conscience d’un moderne, en présence, et comme sous le choc, de cet insigne recueil de chefs-d’œuvre de l’an¬ cienne Italie. Si nous manquons à entendre cette voix en nous- mêmes, le beau zèle et le grand travail qui se sont dépensés à rassembler tout ceci, n’auront eu pour leur récompense que le divertissement de beaucoup, l’enchantement de quelques-uns ; mais point les effets profonds que l’on devrait espérer.