Page:Valéry - Album de vers anciens, 1920.djvu/24

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Sois, ma lèvre, la rose effeuillant le baiser
Qui fasse un spectre cher lentement s’apaiser,
Car la nuit parle à demi-voix, proche et lointaine,
Aux calices pleins d’ombre et de sommeils légers.
Mais la lune s’amuse aux myrtes allongés.

Je t’adore, sous ces myrtes, ô l’incertaine,
Chair pour la solitude éclose tristement
Qui se mire dans le miroir au bois dormant.
Je me délie en vain de ta présence douce,
L’heure menteuse est molle aux membres sur la mousse
Et d’un sombre délice enfle le vent profond.

Adieu, Narcisse… meurs ! Voici le crépuscule.
Au soupir de mon cœur mon apparence ondule,
La flûte, par l’azur enseveli module
Des regrets de troupeaux sonores qui s’en vont.

Mais sur le froid mortel où l’étoile s’allume,
Avant qu’un lent tombeau ne se forme de brume,
Tiens ce baiser qui brise un calme d’eau fatal.