Page:Valéry - Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, 1919.djvu/26

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pourrait servir aux essais de quelque grand oiseau mécanique…

Et lui se devait considérer comme un modèle de bel animal pensant, absolument souple et délié ; doué de plusieurs modes de mouvement ; sachant, sous la moindre intention du cavalier, sans défenses et sans retards, passer d’une allure à toute autre. Esprit de finesse, esprit de géométrie, on les épouse, on les abandonne, comme fait le cheval accompli ses rythmes successifs… Il doit suffire à l’être suprêmement coordonné de se prescrire certaines modifications cachées et très simples au regard de la volonté, et immédiatement il passe de l’ordre des transformations purement formelles et des actes symboliques au régime de la connaissance imparfaite et des réalités spontanées. Posséder cette liberté dans les changements profonds, user d’un tel registre d’accommodations, c’est seulement jouir de l’intégrité de l’homme, telle que nous l’imaginons chez les anciens.



Une élégance supérieure nous déconcerte. Cette absence d’embarras, de prophétisme et de pathétisme ; ces idéaux précis ; ce tempérament entre les curiosités et les puissances, toujours rétabli par un maître de l’équilibre ; ce dédain de l’illusionnisme et des artifices, et chez le plus ingénieux des hommes ; cette ignorance du théâtre, ce sont des scandales pour nous. Quoi de plus dur à concevoir pour des êtres comme nous sommes, qui faisons de la « sensibilité » une sorte de profession, qui prétendons à tout posséder dans quelques effets élémentaires de contraste et de résonance nerveuse, et à tout saisir quand