Page:Valéry - Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, 1919.djvu/32

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entraînement et à une modification sans témoin ; et elle sait donc qu’elle enveloppe toujours, même à l’état le plus net de sa lucidité, une possibilité cachée de faillite et de totale ruine, — comme il arrive au rêve le plus précis de contenir un germe inexplicable de non-réalité.

C’est une manière de lumineux supplice que de sentir que l’on voit tout, sans cesser de sentir que l’on est encore visible, et l’objet concevable d’une attention étrangère ; et sans se trouver jamais le poste ni le regard qui ne laissent rien derrière eux.

Durus est hic sermo, va bientôt dire le lecteur. Mais en ces matières, qui n’est pas vague est difficile, qui n’est pas difficile est nul. Allons encore un peu.



Pour une présence d’esprit aussi sensible à elle-même, et qui se ferme sur elle-même par le détour de « l’Univers », tous les événements de tous les genres, et la vie, et la mort, et les pensées, ne lui sont que des figures subordonnées. Comme chaque chose visible est à la fois étrangère, indispensable, et inférieure à la chose qui y voit, ainsi l’importance de ces figures, si grande qu’elle apparaisse à chaque instant, pâlit à la réflexion devant la seule persistance de l’attention elle-même. Tout le cède à cette universalité pure, à cette généralité insurmontable que la conscience se sent être.

Si tels événements ont le pouvoir de la supprimer, ils sont du même coup, destitués de toute signification ; que s’ils la conservent, ils rentrent dans son système. L’intelligence ignore d’être née, comme elle ignore qu’elle périra. Elle est instruite, oui, de ses fluctuations et de