Page:Valéry - Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, 1919.djvu/39

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ténèbres séparées de la lumière, ils ont opposée et subordonnée à la condition d’être vue



Si je vous ai menés dans cette solitude, et jusqu’à cette netteté désespérée, c’est qu’il fallait bien conduire à sa dernière conséquence l’idée que je me suis faite d’une puissance intellectuelle. Le caractère de l’homme est la conscience ; et celui de la conscience, une perpétuelle exhaustion, un détachement sans repos et sans exception de tout ce qu’y paraît, quoi qui paraisse. Acte inépuisable, indépendant de la qualité comme de la quantité des choses apparues, et par lequel l’homme de l’esprit doit enfin se réduire sciemment à un refus indéfini d’être quoi que ce soit.

Tous les phénomènes, par là frappés d’une sorte d’égale répulsion, et comme rejetés successivement par un geste identique, apparaissent dans une certaine équivalence. Les sentiments et les pensées sont enveloppés dans cette condamnation uniforme, étendue à tout ce qui est perceptible. Il faut bien comprendre que rien n’échappe à la rigueur de cette exhaustion ; mais qu’il suffit de notre attention pour mettre nos mouvements les plus intimes au rang des événements et des objets extérieurs : du moment qu’ils sont observables, ils vont se joindre à toutes choses observées. — Couleur et douleur ; souvenirs, attente et surprises ; cet arbre, et le flottement de son feuillage, et sa variation annuelle, et son ombre comme sa substance, ses accidents de figure et de position, les pensées très éloignées qu’il rappelle à ma distraction, — tout cela est égal… Toutes choses se sub-