Page:Valéry - Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, 1919.djvu/42

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profondeur d’un trésor, la permanence fondamentale d’une conscience que rien ne supporte ; et comme l’oreille retrouve et reperd, à travers les vicissitudes de la symphonie, un son grave et continu qui ne cesse jamais d’y résider, mais qui cesse à chaque instant d’être saisi, — le moi pur, élément unique et monotone de l’être même dans le monde, retrouvé, reperdu par lui-même, habite éternellement notre sens ; cette profonde note de l’existence domine, dès qu’on l’écoute, toute la complication des conditions et des variétés de l’existence.

L’œuvre capitale et cachée du plus grand esprit n’est-elle pas de soustraire cette attention substantielle à la lutte des vérités ordinaires ? Ne faut-il pas qu’il arrive à se définir, contre toutes choses, par cette pure relation immuable entre les objets les plus divers, ce qui lui confère une généralité presque inconcevable, et le porte en quelque manière, à la puissance de l’univers correspondant ? — Ce n’est pas sa chère personne qu’il élève à ce haut degré, puisqu’il la renonce en y pensant, et qu’il la substitue dans la place du sujet par ce moi inqualifiable, qui n’a pas de nom, qui n’a pas d’histoire, qui n’est pas plus sensible, ni moins réel que le centre de masse d’une bague ou d’un système planétaire, — mais qui résulte de tout, quel que soit ce tout…

Tout à l’heure, le but évident de cette merveilleuse vie intellectuelle était encore… de s’étonner d’elle-même. Elle s’absorbait à se faire des enfants qu’elle admirât ; elle se bornait à ce qu’il y a de plus beau, de plus doux, de plus clair et de plus solide ; elle n’était gênée que de sa comparaison avec d’autres organisations concurrentes ; elle s’embarrassait du problème le plus étrange que l’on puisse jamais se proposer, et que nous proposent nos