Page:Valéry - Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, 1919.djvu/72

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fèrent avec délices, dans une chose, cette qualité d’être unique — qu’elles ont toutes. Curiosité qui trouve son expression ultime dans la fiction et les arts du théâtre et qu’on a nommée, à cette extrémité, la faculté d’identification[1]. Rien n’est plus délibérément absurde à la description que cette témérité d’une personne se déclarant qu’elle est un objet déterminé et qu’elle en ressent les impressions — cet objet fût-il matériel ![2] Rien n’est plus puissant dans la vie imaginative. L’objet choisi devient comme le centre de cette vie, un centre d’associations de plus en plus nombreuses, suivant que cet objet est plus ou moins complexe. Au fond, cette faculté ne peut être qu’un moyen d’exciter la vitalité imaginative, de transformer une énergie potentielle en actuelle, jusqu’au point où elle devient une caractéristique pathologique, et domine affreusement la stupidité croissante d’une intelligence qui s’en va.

Depuis le regard pur sur les choses jusqu’à ces états, l’esprit n’a fait qu’agrandir ses fonctions, créer des êtres selon les problèmes que toute sensation lui pose et qu’il résout plus ou moins aisément, suivant

  1. Edgar Poë, Sur Shakespeare (Marginalia).
  2. Si l’on éclaircit pourquoi l’identification à un objet matériel paraît plus absurde que celle à un objet vivant, on aura fait un pas dans la question.