Page:Valéry - Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, 1919.djvu/81

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émotion s’élude en le délice de visages purs que fripe une moue d’ombre, en le geste d’un dieu qui se tait. Sa haine connaît toutes les armes, toutes les ruses de l’ingénieur, toutes les subtilités du stratège. Il établit des engins de guerre formidables, qu’il protège par les bastions, les caponnières, les saillants, les fossés garnis d’écluses pour déformer subitement l’aspect d’un siège ; et je me souviens, en y goûtant la belle défiance italienne du XVIe siècle, qu’il a bâti des donjons où quatre volées d’escalier, indépendantes autour du même axe, séparaient les mercenaires de leurs chefs, les troupes de soldats à gages les unes des autres.

Il adore ce corps de l’homme et de la femme qui se mesure à tout. Il en sent la hauteur, et qu’une rose peut venir jusqu’à la lèvre ; et qu’un grand platane le surpasse vingt fois, d’un jet d’où le feuillage redescend jusqu’à ses boucles ; et qu’il emplit de sa forme rayonnante une salle possible, une concavité de voûte qui s’en déduit, une place naturelle qui compte ses pas. Il guette la chute légère du pied qui se pose, le squelette silencieux dans les chairs, les coïncidences de la marche, tout le jeu superficiel de chaleur et fraîcheur frôlant les nudités, blancheur diffuse ou bronze, fondues sur un mécanisme. Et la