Page:Valéry - L’Idée fixe.djvu/10

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homme est odieux à qui se fuit et se consume à s’éloigner de soi-même, car les autres nous font invinciblement penser à nous.

Je maudis celui-ci. S’étant tourné vers moi avant que j’eusse pu remonter dans mes roches, il me sourit. Je reconnus en lui un médecin que je rencontre assez souvent chez tels amis, ou chez tels autres.

Il reconnut en moi ce qu’il en connaissait par ces rencontres et par divers propos, et des miens et d’autrui.


— Tiens ! dit-il. Eh ! Bonjour !

— C’est moi-même… Vous peignez, vous pêchez ? Vous peignez et pêchez ?

— Rien du tout… J’ai là de quoi peindre. Et de quoi pêcher. Mais le poisson ni le paysage n’ont pas grand chose à craindre. Ils me sont des prétextes… Je simule, mon cher ! En vacances, tout le monde simule. Les uns font les sauvages ; les autres, font les explorateurs. Les uns font semblant de se reposer ; les autres font semblant de se dépenser…

— Les docteurs font semblant de nous avoir tous guéris.

— Et il y a du vrai…

— Et vous, vous faites semblant de peindre et de pêcher.