Page:Valéry - L’Idée fixe.djvu/59

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de la Table… dont je ne vois pas que l’extrême urgence s’impose.

— Attendez. Maintenant je vous prends à partie. En personne. Autre idée.

— Gare dessous !…

— La Thérapeutique passe pour changeante.

— Je l’ai entendu dire.

— Ce qui guérit en 1880 nuit en 1890.

— Oui. Il y a une période de dix ans, environ. Question de mode, je le veux bien. Question de progrès, surtout.

— Mais s’il y avait aussi autre chose ?

— Et quoi donc ?

— Un changement intime…

— De quoi ?

— De l’homme ? — Un changement des… goûts de nos cellules, et donc de leurs réactions ?

— Mon bon Robinson, vous ne vous refusez rien.

— C’est l’immense et inexpugnable privilège de l’ignorance… Je me permets tous les essais.

— Et je vous sers de cobaye.

— Ma foi, chacun son tour… Eh bien. Docteur, savez-vous ce qu’il faut que vous fassiez ?… Je vous garantis la gloire.

— Qu’est-ce que vous voulez que je fasse de la gloire ?

— De l’euphorie !

— On voit que vous ne savez pas ce que c’est. Moi, j’ai soigné quelques glorieux… Il faut toujours les « remonter » !…

— Écoutez, écoutez… Existe-t-il une Histoire de la Thérapeutique ?

— Vous réclamez encore un livre ?… Je ne crois pas.

— Faites-là.

— Moi ?… Ah non ; par exemple !

— Vous pourriez la borner au XIXème et à ce que nous avons vécu du XXème siècle…

— Mais vous n’avez aucune idée du travail que…

— Je vous jure qu’il en sortira quelque chose…

— Non, Monsieur, non et non. Pourquoi voulez-vous que je fasse ce à quoi je n’ai jamais songé ? Je suis Médecin.