Page:Valéry - L’Idée fixe.djvu/64

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savant Savant… Étoiles, atomes, espace, ondes, transmutations, etc, etc… Vous entendez cela…Tout le matériel actuel…

— Très compliqué.

— Oui. Il y a peu de tout. Des images, des entités inimaginables ; le hasard et la nécessité qui s’accouplent plus ou moins monstrueusement ; des nombres entiers qui assassinent les décimales ; vos tables de mortalité qui prennent un intérêt astronomique…

— Il y a trop de faits, voyez-vous… On ne sait plus comment ramasser tout ce que l’on gagne à la loterie de l’expérience. Tous les résultats parlent à la fois…

— Et c’est la confusion mentale…

— Qui se confond avec la confusion de la réalité.

— En somme, je parlais de l’Univers avec mon savant ; et je lui dis tout à coup : qu’entendez-vous, au juste, par ce mot ?

— Je vous entends d’ici !

— Et bien, il y a longuement hésité… Son visage a pris une expression… indéfinissable…

— C’était le cas…

— Son regard m’a abandonné… Supprimé, dirais-je…

— Voilà une bonne idée. C’était le traitement de choix.

— Et puis il est redescendu du monde…

— Où l’on ne trouve rien.

— Et il m’a dit : une sphère…

— Dont le centre est partout et…

— Non. Une sphère… telle… que rien n’existe hors d’elle.

— Je parie cent mille dollars que vous n’avez pas été satisfait.

— Votre fortune est faite.

— Vous voyez ?

— Quoi, Docteur ?

— Que vous avez une idée fixe, que je l’ai repérée, et que je vous prévois à tout coup, comme je veux !… Je vous manœuvre ad Libitum !

— Mais pas du tout !… Ce n’est qu’une omnivalente… Que diable !

— Encore…

— Et sur ce roc artificiel, nous nous livrons au combat des magiciens !