Page:Valéry - Regards sur le monde actuel, 1931.djvu/21

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lectures historiques ; il a rêvé toute sa vie d’Annibal, de César, d’Alexandre et de Frédéric ; et cet homme fait pour créer, qui s’est trouvé en possession de reconstruire une Europe politique que l’état des esprits après trois siècles de découvertes, et au sortir du bouleversement révolutionnaire, pouvait permettre d’organiser, s’est perdu dans les perspectives du passé et dans des mirages de grandeurs mortes. Il a décliné dès qu’il a cessé de dérouter. Il s’est ruiné pour s’être rendu semblable à ses adversaires, pour avoir adoré leurs idoles, imité de toute sa force ce qui faisait leur faiblesse, et substitué à sa vision propre et directe des choses l’illusion du décor de la politique historique.

Bismarck, au Congrès de Berlin, dominé par cet esprit historique qu’il prend pour esprit réaliste, ne veut considérer que l’Europe, se désintéresse de l’Afrique, n’use de son génie, de son prestige qui le faisait maître de l’instant, que pour