Page:Valéry - Regards sur le monde actuel, 1931.djvu/50

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les avaient créés. Fort au-dessous de ceux-ci étaient ceux qui disposaient d’elle. Ils étaient nourris du passé : ils n’ont su faire que du passé. L’occasion aussi est passée. Son histoire et ses traditions politiques ; ses querelles de villages, de clochers et de boutiques ; ses jalousies et rancunes de voisins ; et en somme le manque de vues, le petit esprit hérité de l’époque où elle était aussi ignorante et non plus puissante que les autres régions du globe, ont fait perdre à l’Europe cette immense occasion dont elle ne s’est même pas doutée en temps utile qu’elle existât. Napoléon semble être le seul qui ait pressenti ce qui devait se produire et ce qui pourrait s’entreprendre. Il a pensé à l’échelle du monde actuel, n’a pas été compris, et l’a dit. Mais il venait trop tôt ; les temps n’étaient pas mûrs ; ses moyens étaient loin des nôtres. On s’est remis après lui à considérer les hectares du voisin et à raisonner sur l’instant.