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Page:Valéry - Variété IV, 1948.djvu/260

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pas – elle n’est guère avouable. Aucun des dialecticiens de l’Esthétique ne consentira qu’il n’a plus besoin de ses yeux ni de ses oreilles au-delà des occasions de la vie pratique. Et davantage, aucun d’eux ne prétendra qu’il pourrait, grâce à ses formules, se divertir à exécuter, – ou du moins à définir en toute précision d’incontestables chefs-d’œuvre, sans y mettre autre chose de soi que l’application de son esprit à une sorte de calcul.

Tout, d’ailleurs, n’est pas imaginaire dans cette supposition. Nous savons que quelque rêve de ce genre a hanté plus d’une tête, et non des moins puis­santes ; et nous savons, d’autre part, combien la critique, jadis, se sentant des préceptes infaillibles, a usé et abusé, dans l’estime des œuvres, de l’autorité qu’elle pensait tenir de ses principes. C’est qu’il n’est pas de tentation plus grande que celle de décider souverainement dans les matières incertaines.

Le seul propos d’une "Science du Beau" devait fatalement être ruiné par la diversité des beautés produites ou admises dans le monde et dans la durée. S’agissant de plaisir, il n’y a plus que des questions de fait. Les individus jouissent comme ils peuvent et de ce qu’ils peuvent ; et la malice de la sensi­bilité est infinie. Les conseils les mieux fondés sont déjoués par elle, quand même ils soient le fruit des observations les plus sagaces et des raisonnements les plus déliés.

Quoi de plus juste, par exemple, et de plus satisfaisant pour l’esprit que la fameuse règle des unités, si conforme aux exigences de l’attention et si favorable à la solidité, à la densité de l’action dramatique ?