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Page:Valéry - Variété IV, 1948.djvu/262

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des monuments d’architecture qui ne procèdent que du désir de dresser un décor impressionnant, qui soit vu d’un point choisi ; et cette tentation conduit assez souvent le constructeur à sacrifier telles qualités, dont l’absence et le défaut apparaissent si l’on s’écarte quelque peu de la place favorable prévue. Le public confond trop souvent l’art restreint du décor, dont les conditions s’établissent par rapport à un lieu bien défini et limité, et veulent une perspective unique et un certain éclairage, avec l’art complet dans lequel la structure, les relations, rendues sensibles, de la matière, des formes et des forces sont dominantes, reconnaissables de tous les points de l’espace, et introduisent, en quelque sorte, dans la vision, je ne sais quelle présence du sentiment de la masse, de la puissance statique, de l’effort et des antagonismes musculaires qui nous identifient avec l’édifice, par une certaine conscience de notre corps tout entier.

Je m’excuse de cette digression. Je reviens à cette Esthétique dont je disais qu’elle a reçu de l’événement presque autant de démentis que d’occasions où elle a cru pouvoir dominer le goût, juger définitivement du mérite des œuvres, s’imposer aux artistes comme au public, et forcer les gens d’aimer ce qu’ils n’aimaient pas et d’abhorrer ce qu’ils aimaient.

Mais ce n’est que sa prétention qui fut ruinée. Elle valait mieux que son rêve. Son erreur, à mon sens, ne portait que sur elle-même et sa vraie nature ; sur sa vraie valeur et sur sa fonction. Elle se croyait universelle ; mais au con­traire, elle était merveilleusement soi, c’est-à-dire originale. Quoi de plus original que de s’opposer à la plupart des tendances, des goûts et des produc­tions