Page:Vallès - L’Insurgé.djvu/112

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pour les faire repasser, tant ils sont rouillés ! a dit un farceur d’atelier.


Mais s’il a la peur du travail qui salit les mains, il n’a pas peur de l’étude solitaire, des longues veillées passées en tête-à-tête avec les Pères de l’Église économique et les Pères de la Révolte sociale. Il a acheté, sur les quais, Adam Smith et Jean-Baptiste Say, vendus au bouquiniste par quelque bourgeois tombé, quelque déclassé descendu dans le ruisseau. Ils sont maintenant sur la table de l’artisan qui monte.

Avec quatre ou cinq volumes de Proudhon, cela a fait le compte. Il a la pierre de touche de toutes les monnaies de métal et d’idées, il deviendra un savant — il l’est. C’est lui, le contremaître de l’atelier où se fabrique la révolution ouvrière.

Il gagne sa vie, comme employé, chez un quincaillier tout fier d’avoir pour commis un garçon qui en sait si long.


Il a déjà un clan, ce plébéien émancipé. Un bûcheur massant pour de bon, Perrachon, qui, lui, n’a pas quitté l’établi, représente le labeur manuel dans ce ménage d’opinions. Il vénère à l’égal d’un dieu celui qui s’est fait teneur de livres et dévoreur de grimoires. Et il le copie et il le singe, taillant sa barbe et ses cheveux tout pareil, boutonnant son paletot de même, et plantant son chapeau à semblable inclinaison sur le front ou l’oreille.